La culture française est une famille d'accueil, une maison d'hôtes, pas un motel

Quand on a été élevé chez les prêtres, on a subi toute son enfance les paraboles évangéliques qui avaient le mérite de dire les choses simplement . Qu'on me permette donc d'appliquer le principe de la parabole au destin de notre culture dans le monde.Un homme riche, puissant et généreux avait trois fils. Le premier voulait apprendre à faire prospérer les affaires de son père.

Le deuxième voulait devenir un homme de science et connaître le fonctionnement de ce qui l'entourait. Le troisième était artiste.Un jour, sous la pression de l'artiste qui était le rebelle de la famille, on décida d'adopter tardivement un adolescent venu d'une famille pauvre et d'un autre pays. Cet adolescent écouta beaucoup, apprit le langage de son père adoptif, s'entendit bien avec chacun des trois frères et adopta à son tour si bien les usages, les règles, les préférences de la famille qu'il trouva un métier facilement et fit honneur à ceux qui l'avaient élevé.Mais le plus jeune des fils, l'artiste, qui nourrissait une rancoeur secrète contre l'ordre familial, décida bientôt son père à adopter un deuxième enfant, né ailleurs, encore plus loin, et celui-là n'appliqua aucune des règles du monde où il était entré parce qu'on lui expliqua qu'elles étaient injustes et pour tout dire d'inspiration coloniale. Non seulement il prétendit s'en dispenser mais il invita ses frères adoptifs à l'imiter. Il leur expliqua que leur langage était désuet, leurs méthodes inefficaces, leur gestion du domaine frileuse, que leur dévotion à leur père n'avait aucun sens, et il prétendit remonter à ses propres origines en demandant réparation pour avoir été obligé d'apprendre une langue qui n'était pas celle de ses ancêtres.L'artiste, le fils vengeur, le rebelle, était déjà enclin à juger que les œuvres venues de tous les autres pays avaient plus de valeur que celles que l'on produisait chez lui. Il appela ringard tout ce qu'on aimait sous le toit de son père, il aima les arts primaires plutôt que les secondaires et la culture aborigène plus que celle de l'Europe du Nord. Le fils scientifique commença à trouver que partout ailleurs dans le monde, on s'affranchissait de ses oeillères, que c'était une bonne chose et qu'il fallait regarder vers les étoiles. Et le fils gestionnaire du domaine se laissa convaincre de s'endetter pour entrer dans un système coopératif à l'échelle de la région, puis du pays, puis du continent entier, de sorte qu'il ne put bientôt même plus décider de déplacer une clôture.Et le père ? Eh bien, le père commença par citer en exemple, avec nostalgie, son premier fils adoptif qui n'avait pas jugé ses leçons si ridicules et qui finalement était le seul à avoir perpétué les valeurs qu'il avait lui-même reçues.Mais bientôt, sous la pression générale, le père lui-même abdiqua totalement pour être bien vu. Avec l'âge il jugea que finalement la grandeur de sa famille n'avait été qu'une illusion, il jugea qu'une exploitation pour progresser devait s'endetter régulièrement, doubler, tripler sa dette pour investir. Il jugea que le monde était une planète si dérisoire à l'échelle de tout ce qui était inconnu dans l'univers que cette dérision finissait par s'appliquer à toute chose. Une vérité énoncée ne valait pas mieux qu'une autre, ni, d'ailleurs que son contraire. Il jugea enfin que la beauté pouvait résulter d'une simple démarche intellectuelle, un peu comme la sexualité moderne,  et qu'un tas de baguettes d'aluminium jetées sur un drap blanc était la même chose qu'un Vermeer. De sorte qu'à la veille de mourir, il dit à ses enfants qu'il n'avait plus rien à leur transmettre, il fallait qu'ils inventent leurs préceptes futurs.

 Je me reconnais entièrement dans le portrait du premier fils adoptif .

 Enfant de la classe moyenne, j'ai été élevé dans un monde de privilégiés dont j'ai appris les usages et le vocabulaire, pour m'entendre dire, une fois parvenu au terme de mon éducation, que les règles que j'avais apprises n'avaient plus cours. J'ai vu mes frères s'égarer dans le surendettement, la planétarisation, la négation des exigences de l'art, j'ai subi leur discours à table, j'ai vu arriver le second fils adoptif, celui qui a essayé de culpabiliser tout le monde et qui maintenant nous appelle esclavagistes, alors que pour ma part mes ancêtres savoyards ont cent fois moins de probabilités d'avoir été esclavagistes que ceux du moindre descendant de bédouins qui prétend me donner des leçons .
Ensuite j'ai vu peu à peu le père de ma parabole décliner pour devenir ce minable patriarche que campe Christian Clavier dans «  Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu ? » ou l'effarant Jean d'Ormesson, sorte de momie devenue, au fil des ans, l' icône du renoncement nostalgique,  du consentement à la disparition des valeurs dans lesquelles il a été élevé.
J'ai représenté la culture française à l'étranger pour m'entendre dire que la grandeur de Versailles ou les chansons d'Edith Piaf n'étaient pas la France et qu'il fallait promouvoir des spectacles sur le marquis de Sade, des musiciens électro-punk en provenance du Bénin, et des plasticiens qui vous donnent des leçons de "lecture du réel", à 23 ans, en vous obligeant à examiner un bol de nouilles sous une lampe au néon. Ce discours, ces spectacles grotesques, provocants, dégradants, nous étaient alors infligés de force par l'ambassadeur romain, son conseiller culturel énarque, son attaché spécialisé dans le fayotage administratif et le ministère des affaires étrangères qui parrainait tout cela dans une ivresse budgétaire idiote et, bien entendu, un déficit permanent. Or les gens chez qui je représentais la culture française à Milan, Bologne, Venise nous réclamaient bel et bien avec insistance Versailles, Edith Piaf et Jean Cocteau. Ils savaient où se trouvait l'esprit de famille et ils nous invitaient à le maintenir, contre nos élites mondialistes qui prenaient l'avion comme l'autobus.Nous sommes résolus à le préserver, à le raffiner, à lui rester fidèle, tout simplement. Nous trouverons certainement le moyen d'y parvenir avec l'aide de tous nos cousins européens comme je l'ai écrit il y a vingt cinq ans dans " De l'Est, de la Peste et du Reste", où j'évoquais déjà l'importance de l'esprit de famille continental européen. Mais je n'avais pas encore prévu que la Russie en détiendrait les clés.