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L'armée des zombies de la télé recrute après 75 ans

Comment blâmer les mères qui ont renoncé à arracher leurs enfants à la télévision ? Les chaînes déploient toutes les ruses pour appâter les familles dès le matin et les annonceurs les y encouragent

. Si l’on veut faire patienter les plus jeunes pendant que leurs frères aînés se ruent sur le bol de céréales, le dessin animé est devenu le recours obligatoire. Dans certains foyers, on voit des bambins de 5 ans hirsutes, recroquevillés sur le canapé, le pouce aux lèvres et le doudou sous le bras, regarder des histoires de princesses galactiques pendant que la maisonnée s’éveille.

Dix ans plus tard, on retrouve les mêmes enfants vautrés sur le même canapé, mais cette fois ravagés par Star Academy tandis que les producteurs commentent la prestation d’un élève en s’écriant : « C’était très générationnel » (sic, entendu début septembre). La télévision s’installe comme rivale des parents en toute occasion. Quand ces derniers réprouvent certaines fréquentations, attitudes ou tenues vestimentaires, des animateurs-copains prescrivent le contraire du message familial : vocabulaire grotesque, rodéos de banlieue, culte du décibel, cannabis tolérable, sexualité hygiénique, rock déjanté, les exemples pullulent. Cette aliénation devient telle que l’adolescent vraiment moderne s’enferme désormais dans sa chambre avec son propre poste pour se réfugier dans un imaginaire de zombie où tout le monde est “supersympa”, écoute Raphaël et communie dans le culte de la “jante alu”.
Mais, arrêtons-nous là. Pourquoi ressasser toutes ces choses cent fois entendues ?
Pour introduire une observation qu’on entend moins souvent : la vieillesse est exposée à la “zombitude” affective et sociale dans les mêmes proportions. Les adultes d’âge moyen peuvent déplorer chaque jour de nouveaux cas de démission de l’esprit chez les plus de 75 ans, par la faute de la télévision. Quand on débarque à l’improviste chez ses vieux parents, il est fréquent aujourd’hui d’être supplanté dans leur cœur par les héros des feuilletons de l’après-midi. Le patriarche brandit la télécommande pour hausser le volume et couvrir la conversation de son entourage en lui infligeant les propos de Rick ou Jason. Les dîners sont écourtés par le journal télévisé. Les coups de fil du matin sont victimes d’Amour, gloire et beauté. Et trop souvent, dans les fêtes de famille, quand la grand-mère s’agite sur sa chaise après le déjeuner, ce n’est pas parce qu’elle souhaite entendre sa fille en confidence, mais parce qu’elle est en train de rater les Feux de l’amour.
Or justement, il s’agit d’un feuilleton où personne ne regarde jamais la télévision, et où toutes les filles parlent à leur mère après le déjeuner. On dirait donc qu’après avoir congédié la vie sociale, la télévision exploite la nostalgie que nous en avons, pour nous la revendre, impudemment, par petits morceaux.
En somme la télé, c’est de la vie à la découpe.