La gérontocratie, un contresens et une réalité bien plus flatteuse que prévu

L’apparition dans un ouvrage polémique d'un néologisme forgé pour désigner une société réactionnaire a le discrédit sur la notion même d’un gouvernement par les vieux. Depuis lors, il est devenu - du moins pour le lecteur des journaux du soir - notoire et quasi indiscutable que la vieillesse n’est capable de rien, surtout pas de gouverner, et que sa participation aux affaires est la promesse d'une ère de conservatisme imbécile et dangereux.


On peut toutefois remarquer qu’Aristote et Platon, pour ne citer que ces médiocres esprits, ont soutenu l'opinion contraire et prétendu que la grande vertu de l’âge, en matière politique, était que le vieillard, n'ayant aucune ambition personnelle á satisfaire, œuvrait avant tout pour le bien de la cité. Mais, sans doute, se sont-ils trompés, et c’est Le Monde qui a raison.

Le terme de "gérontocratie" appliqué à la troïka qui gouverne l'Union soviétique et qui faisait naguère ricaner l'Occident tout entier est une détestable plaisanterie. Pour parvenir au Soviet suprême, il fallait avoir aimé le pouvoir dès l'âge de vingt ans, il en avoir flatté l’idée pendant un demi-siècle à travers toutes les compromissions et les épurations. La compétence en l’occurrence était subsidiaire : ce qui comptait, c'était l’habileté à manœuvrer.

En sorte que le régime qu’on nous présente aujourd'hui comme l’archétype absolu de la gérontocratie est exactement le contraire : il s’agit d’une société politique d’ex-jeunes ambitieux. Ces vieillards que l’on voyait pleurer sans cesse après de nouvelles médailles faisaient penser au poisson ferré jusqu’à la gorge qui cherche encore sa nourriture.

Citer le grand âge des dictateurs du XXe siècle comme un trait supplémentaire d’infamie, prétendre y trouver la preuve que la vieillesse ne saurait gouverner autrement, c’est méconnaître qu’un véritable régime gérontocratique aurait étouffé la carrière de ces gens-là dès le début.